Les Chroniques de :  Jean-Michel Robert

Les gosiers en pente : morceau de vie

Jean-Michel Robert rapporte ici des histoires de fortunes de mer (de 1739 à 1913), essentiellement des tonneaux de vin étrangement égarés en mer. Comment résister à la tentation d'y goûter ou encore de les subtiliser ? Beaucoup n'y ont d'ailleurs pas résisté. Mais lisez plutôt !...

 

Décembre 1739, Le Grand Griffon, un voilier de 95 tonneaux du port de Nantes vient s'échouer assez mystérieusement  à l'entrée de l'anse du Minahouet en Trégunc. Pour alléger son navire le capitaine donne l'ordre de balancer par-dessus bord une partie de la marchandises notamment 130 barriques de vin et de goudron ainsi que des blocs de sucre brut, les riverains alertés ne se priveront pas de se servir. La Douane sur le qui-vive ne retrouvera que quelques caisses de sucre écrasées, ainsi qu'une dizaine de barriques… vides (Archives départementales)

 

Mercredi 11 février 1750, le sloop Angélique du port de Cherbourg chargé notamment de futs de vin en provenance de Bordeaux vient s'échouer près de l'île Saint-Nicolas au Glénan, par suite de violents coups de vents. Le bâtiment est irrécupérable, mais une partie de la marchandise sera déposé par l'équipage sur l'Ile de Saint-Nicolas. Les autorités venues de Concarneau établiront divers rapports et dans l'un d'eux, on peut lire : "Les marchandises restent à la garde de l'équipage qu'il faudra remplacer, car les boissons seront au pillage de tous les matelots qui abordent dans l'Ile."(Archives Départementales).

 

Janvier 1873, de violents coups de vents ont frappé toute la côte Ouest de la Bretagne. De nombreux naufrages se produisent et, à chaque fois, les côtes reçoivent des débris de toutes sortes. A Trévignon, en ce début d'année, sur la côte pentière sont arrivés plusieurs espars: une porte, un arrière de bateau un fragment de passerelle et même un bras et un buste en bois, sans doute une figure de proue et divers objets qui n'ont guère attiré l'attention. Mais on a signalé l'arrivée d'une barrique qui va s'avérer être une pièce de vin. Les riverains n'ont pas hésité une minute. Celle-ci fut défoncée à même la plage. Les habitants se sont enivrés et ont du prendre la fuite avant l'arrivée des gendarmes, mais on connaît les acteurs du pillage (Journal Le Finistère).

 

Nuit du 19 au 20 janvier 1886, Paul Picard à bord de la chaloupe Jeanne, alors qu'il navigue à 5 milles au large de côte Bigoudenne, récupère une barrique dont le contenu rappelle fortement l'odeur du rhum. La pièce après bien des efforts est ramenée sur le pont, et route terre, mais la tentation est grande " et si on goûtait" et on fait un trou dans le tonneau, mais comme on aime pas boire seul une deuxième chaloupe venant à contre-sens est invitée aux libations.

On boit, on boit jusqu'à ce que tout le monde comme dira le Patron tombe raide.

Il y aura quand même un mort dans cette orgie, un jeune matelot de la chaloupe rencontrée qui n'a pas supporté la dose.

Le produit expertisé par la Douane s'avérera être du rhum brut blanc à 71°. Oups !!

(Journal Le Finistère)

 

Février 1891, Les chaloupes Adoration C C 1495 Patron Auguste Quélénnec et Tu me fais rire C C 1530 Patron Piriou François sont en pêche, par nuit noire, sans feux de signalisation au large des Glénan. Par suite d'une saute de vent, l'Adoration aborde l'autre chaloupe qui coule en quelques minutes, l'équipage récupéré et sauvé. Le patron Piriou fera une déclaration au Syndic de Concarneau en précisant les objets perdus qui devraient lui être remboursés: la coque de la chaloupe, deux avirons et une barrique de vin. (Le Syndic indiquera dans son rapport "origine inconnue, ne fait pas partie du matériel de navigation" (Journal Le Finistère).

 

Février 1901, Un fût est sur la plage de Mousterlin. Alertés, les douaniers du poste de Fouesnant viennent en reconnaissance et décident, n'ayant pas de moyen de transport, de" camoufler" l'objet dans la lande. Evidement, comme il ne peut s'agir que d'alcool, l'objet a disparu dans la nature au retour des gabelous et c'est là que l'intervention du brigadier des douanes, F. Robert va prendre une direction tout à fait inhabituelle. Le brigadier des douanes avait fait arrêter le Sieur Jan de Beg-Meil pour tentative de vol d'épave, celui-ci-reconnu innocent le brigadier sera puni pour grande négligence et le Lieutenant pour manque de discernement. La barrique ne sera jamais retrouvée (Document personnel).

 

Novembre 1902-Concarneau, Du poste de Douanes de 2ème classe de la Pointe Pénéroff (X), le brigadier des Douanes Le Cornu observe de l'autre côté dans l'anse de Kersaux des individus qui manifestement roulent sur la plage ce qui paraît être une barrique. Le temps d'alerter la Patache (xx) et d'arriver sur les lieux, aucune marque visible et déjà la marée a effacé les quelques traces qui prouveraient le délit. Rien, les riverains resteront muets, une barrique ? Non ? (annales des Douanes)

(x) Le poste des douanes et lance-amarre se trouvaient entre la digue et le square de l'Ile Saint-Paul actuellement.

(xx) Patache: petite embarcation à rames qui servait aux service des douanes.

 

Hiver 1913, une douzaine de barriques de porto s'échoue sur la plage de Kersidan, la douane aux aguets ne retrouvera pas  les précieuses pièces, car très rapidement les barriques sont enlevées et dissimulées dans divers champs du voisinage  recouvertes de terre et plantées de quelques salades ou quelques chouxs avec seulement une aération pour " "soutirer et goûter de temps en temps"  reçu de Robert Sellin/ Trégunc  2004.

 

Jean-Michel Robert